Le petit Sapin H. C. Andersen – PARTIE 4
« Pip ! pip ! » fit une petite souris en apparaissant au même instant, et une autre la suivait.
– Il fait terriblement froid, dit la petite souris. Sinon on serait bien ici, n’est-ce pas, vieux sapin?
– Je ne suis pas vieux du tout, répondit le sapin. Il en y a beaucoup de bien plus vieux que moi.
-D’où viens-tu donc ? demanda la souris, et qu’est-ce que tu as à raconter ? Elles étaient horriblement curieuses.
-Parle-nous de l’endroit le plus exquis de la terre. Y as-tu été ? As-tu été dans le garde-manger ?
-Je ne connais pas ça, dit l’arbre, mais je connais la forêt où brille le soleil, où l’oiseau chante. Et il parla de son enfance. Les petites souris n’avaient jamais rien entendu de semblable. Elles écoutaient de toutes leurs oreilles. – Tu en as vu des choses ! Comme tu as été heureux ! –
-Moi ! dit le sapin en songeant à ce que lui-même racontait. Oui, au fond, c’était bien agréable. Mais, ensuite, il parla du soir de Noël où il avait été garni de gâteaux et de lumières.
– Oh ! dirent encore les petites souris, comme tu as été heureux, vieux sapin.
-Mais je ne suis pas vieux du tout, ce n’est que cet hiver que j’ai quitté ma forêt ; je suis dans mon plus bel âge, on m’a seulement replanté dans un tonneau.
-Comme tu racontes bien, dirent les petites souris. La nuit suivante, elles amenèrent quatre autres souris pour entendre ce que l’arbre racontait et, plus celui-ci parlait, plus ses souvenirs étaient clairs et précis. « C’était vraiment de bons moments, pensait-il. Mais ils peuvent revenir, ils peuvent revenir ! Dumpe-le-Ballot est tombé du haut des escaliers, mais il a tout de même eu la princesse ; peut-être que j’en aurai une aussi. » Il se souvenait d’un petit bouleau qui poussait là-bas, dans la forêt, et qui avait été pour lui une véritable petite princesse.
– Qui est Dumpe-le-Ballot? demandèrent les petites souris. Alors le sapin raconta toute l’histoire, il se souvenait de chaque mot ; La nuit suivante, les souris étaient plus nombreuses encore, et le dimanche il vint même deux rats, mais ils déclarèrent que le conte n’était pas amusant du tout et ils s’en allèrent. Finalement, les souris finirent par s’en aller aussi, et le sapin soupirait.
– C’était un vrai plaisir d’avoir autour de moi ces petites souris qui écoutaient ce que je racontais. C’est fini, ça aussi, mais maintenant, je saurai apprécier la vie quand on me ressortira. Mais quand ? Ce fut un matin, des gens arrivèrent dans le grenier. Ils déplacèrent les caisses, et tirèrent l’arbre. Bien sûr, ils le jetèrent un peu durement à terre, mais un valet le traîna vers l’escalier où le jour éclairait. «Voilà la vie qui recommence », pensait l’arbre, lorsqu’il sentit l’air frais, le premier rayon de soleil … On le mit dans la cour.
– Je vais revivre, se disait-il, enchanté, étendant largement ses branches. Hélas ! elles étaient toutes fanées et jaunies. L’étoile de papier doré était restée fixée à son sommet et brillait au soleil… Dans la cour jouaient quelques enfants joyeux qui, à Noël, avaient dansé autour de l’arbre et s’en étaient réjouis. L’un des plus petits s’élança et arracha l’étoile d’or.
– Regarde ce qui était resté sur cet affreux arbre de Noël, s’écria-t-il en piétinant les branches qui craquaient sous ses souliers.
L’arbre regardait la splendeur des fleurs et la fraîche verdure du jardin puis, enfin, se regarda lui-même. Finalement, il aurait préféré rester au grenier ! Il pensa à sa jeunesse dans la forêt, à la joyeuse fête de Noël, aux petites souris, si heureuses d’entendre l’histoire de Dumpe-le- Ballot.
« Fini ! fini ! Si seulement j’avais su être heureux quand je le pouvais. »
Le valet débita l’arbre en petits morceaux, il en fit tout un grand tas qui flamba sous la chaudière. De profonds soupirs s’en échappaient, chaque soupir éclatait.
Les enfants qui jouaient au-dehors entrèrent s’asseoir devant le feu et ils criaient : Pif ! Paf ! A chaque craquement, le sapin, lui, songeait à un jour d’été dans la forêt ou à une nuit d’hiver quand les étoiles étincellent.
Il pensait au soir de Noël, à Dumpe-le-Ballot, le seul conte qu’on ne lui ait jamais raconté et qu’il avait su répéter… et voilà qu’il était consumé … Les garçons jouaient dans la cour, le plus jeune portait sur la poitrine l’étoile d’or qui avait orné l’arbre au soir le plus heureux de sa vie. Ce soir était fini, l’arbre était fini, et l’histoire, aussi, finie, finie comme toutes les histoires.